LES CONTES DE BLUE GOLD VILLAGE

Les contes de Blue Gold Village sont une série d'écrits racontant les aventures du Village avant que vous y arrivez... Ils sont écrits par le créateur de cette aventure afin de vous immerger et d'anticiper les caractères, rôles et événements que vous découvrirez. Faites vous un bon thé radioactif, lancez la playlist suivante.
Laissez vous porter par l'incroyable aventure de Blue Gold Village. Merci de vos encouragements et de votre intérêt.

Aurélien


Quelques temps après Nenetsky et sa fin cauchemardesque, les rues du District 9 ont vomi ses survivants abîmés… Ils ont repris la route aux quatre coins du monde, plus méfiants, plus solitaires qu’auparavant, durablement meurtris par les horreurs de Nenetsky…

Des mois plus tard, il apparaît que le plus gros problème reste l’eau. Tout est souillé, et l’eau est devenue une denrée aussi rare qu’une arme en bon état.

Trouver de l’eau est devenu une priorité pour beaucoup et nombreux sont ceux qui sont morts déshydratés… Survivre à Nenetsky et mourir déshydraté… Quelle ironie.

La radio crépite… Une vieille musique résonne… Entendre de la musique au milieu de ces villes dévastées est quelque chose de profondément terrifiant. Les fantômes d’une vie normale viennent danser devant vos yeux, alors que votre estomac gargouille encore et toujours…. Time of the Season est brusquement interrompu par une voix rauque… Il s’agit visiblement d’un homme, il tousse. Une de ces toux rauque qui n’annonce rien de bon…

-” Après ce petit son des Zombies, il est temps de parler de la météo du Lac. HAHA, les zombies… Quelle drôle d’ironie mes amis! Aujourd'hui qui sont les zombies hein? Vous pensez que les mecs savaient qu’un jour ils joueraient vraiment pour des mecs avec des gueules de zombies! HAHA, bon je divague…. FERMES TA GUEULE MURRAY. Pardon. Le temps est comme d’hab’ autour du lac, du brouillard et une odeur de merde. Il faudrait peut être qu’on aille repêcher Gaby un de ces quatre… Trois semaines qu’il flotte le mec, il est gonflé comme un ballon et il pue… Mais alors hors de question que je me dévoue, y a des machins pas clairs au fond de l’eau ! *tousse* MURRAY FERMES LA BORDEL. Le Cul terreux réussit toujours à transformer l’eau du Lac pour l’instant, elle est dégueulasse mais on claque pas c’est déjà ça. Sacré Cut’, il se prend pour un genre de baron mais il pue autant qu’un rat crevé dans une fosse sceptique HAHA ! Le VILLAGE se porte bien, enfin y a pas trop de trucs immondes, SAUF TOI MURRAY haha. Il est con Murray.”

Y aurait-il un espoir? Je coupe la radio et j'essaie d'oublier ma gorge en lambeaux, tiraillée par plusieurs jours de déshydratation...


Le soleil se lève au dessus du Village.

Voilà quelques semaines que le havre de paix survit tant bien que mal. Une brume verdâtre surplombe le Lac. L'eau est parfaitement immobile, rien ne vient perturber le miroir aquatique; plus rien ne vit en son sein depuis bien longtemps, les radiations se sont occupées d'apporter un silence de mort sur cette partie du monde.

Le Pasteur observe son fief commencer à s'agiter et fourmiller. Le bar laisse échapper le crépitement faiblard d'une musique, "Fortunate Song", on entend déjà Cut' brailler des insanités. Le Pasteur n'a jamais aimé le langage vulgaire et grossier, mais ce monde n'avait pas été tendre avec ces pauvres bougres, il devait bien leur laisser un peu de libertés. De la fumée s'échappe de la boutique, une odeur de café imprègne peu à peu le cœur du Village.

Au loin, on entend le ronronnement de la Pompe. Cut' et BlackHand ont bien travaillés, main dans la main; il fallait les voir les deux loustics se hurler dessus du matin au soir... Un supplice pour le Village. Mais la finalité était là: la Pompe fonctionne, elle semble faiblarde mais elle s'accroche. L'eau qui chemine au cœur de l'étrange machine passe d'un taux de radiation alarmant à un taux tout à fait acceptable. Bien entendu, ce n'est pas inerte; rien n'est inerte dans ce nouveau monde... Le Village a accès à l'eau. C'est un véritable rayon de soleil dans ce monde d'obscurité. Le Pasteur avait d'ailleurs décidé d'appeler ce fief... BLUE GOLD. L'or bleu. L'eau.

Derrière le Pasteur, une ombre toute de rouge vêtue s'approche en douceur et pose sa main sur son épaule, tout en observant le soleil rougeoyant du matin... Un couvre chef masque une partie de son visage mais laisse apparaître un sourire radieux. Elle croit en la destinée du Pasteur et du Village.

Il fait beau aujourd'hui au Village de Blue Gold, la Pompe fonctionne, les gens sont souriants. Il fait bon vivre à Blue Gold.

Au loin, à plusieurs kilomètres de là, des ombres approchent à travers la noueuse et humide forêt bordant le lac.


Le Village avait son fonctionnement propre et sa routine.

Cut' tenait son bar avec brio, commercialisant alternativement la bière de navet et l'eau, quand elle circulait en quantité suffisante (ce qui était rarement le cas). Il tenait avec assiduité, et c'est d'ailleurs bien la seule chose, son registre de consommation, permettant de savoir qui avait pris sa dose et qui traînait la patte.

Le bar était souvent occupé par un curieux personnage très discret, amateur de cartes, de jeux et de défis. Henri était de mèche avec Cut' et comptait sur sa discrétion pour distraire ce monde abîmé. Ses jeux étaient un échappatoire pour beaucoup, en plus d'être une source de revenus très appréciable. Les jeux étaient mal vus par le Pasteur mais tolérés de manière générale, pour son aspect ludique

BlackHand avait le nez fourré dans son atelier plein de bric à brac, on l'entendait jurer du matin ou soir, avec des pics sonores quand les villageois venaient réclamer une réparation attendue depuis plusieurs jours. Sa boutique ne ressemblait à rien, et seul lui savait où se trouvait les bons outils. Une agréable odeur de bière emplissait son foyer, mélangée aux odeurs plus acres de rouille, de graisse et de navet. BlackHand était une forte personnalité du Village, même si personne ne parvenait à décrypter ses gromellements permanents.

Le Pasteur et la Mère Supérieure étaient excentrés du Village, dans leur dispensaire. Ils preferaient le calme et l'odeur de la forêt. Ils observaient ce Village, symbole du renouveau de l'homme et de sa possible rédemption. Ils étaient fiers de ce qu'ils avaient accomplis. La mère supérieure portait en permanence une coiffe masquant son visage; certains disaient que son visage portait de drôles de stigmates.

D'autres personnages peuplent ce Village et seront évoqués très prochainement. On y retrouvera par exemple un forgeron, un vendeur plus ou moins honnête, un chasseur (de tête, d'hommes et d'argent facile) ou bien un homme de lois.

En attendant, il est bientôt l'heure de la Cérémonie de l'eau et le retard est tout sauf toléré.

Bon dimanche aux survivants et écoutez votre radio.


Un nouveau matin sur le Village. Celui-ci n'était pas optimiste. Une chappe brumeuse recouvrait le village, une ambiance pesante régnait depuis quelques jours autour du Lac. BlackHand était parti depuis 2 jours à la recherche de visseries et autres pièces destinées à la Pompe. Celle-ci crachotait lamentablement depuis plusieurs jours. L'eau qui en coulait était sale, épaisse. Cette Pompe avait décidément la vie dure.

Une suite d'incidents improbables avaient fragilisé le seul espoir de ce Village. Tout d'abord un poisson monstrueux était venu se perdre dans l'embouchure du tuyau. Le machin avait deux bouches et les yeux vitreux. Aucun zoologiste n'aurait pu identifier cette sale bestiole. En plus d'être hideuse, elle était dotée d'une série de dents acérées... Lorsque Jacob a voulu retirer cette vermine il a failli y laisser ses doigts. Le poisson a fini répandu sur une caillasse, laissant enfin la pompe reprendre son souffle. Étonnamment personne n'a songé un instant à consommer cette anomalie à écaille.
Le lendemain le Village s'est réveillé en découvrant avec horreur que la Pompe était à nouveau HS. Les fils d'alimentation avaient été sectionnés net. Heureusement, quelques doses d'eau avaient été miraculeusement sauvées. À peine de quoi survivre un jour. BlackHand et Cut' ont passé leur journée dessus à se creper le chignon, se rejetant la faute sur la responsabilité de la panne. Leur habileté étant inversement proportionnelle à leur intelligence, la pompe fut rapidement fonctionnelle et tourna à plein régime. Trop.
Ce même jour dans la soirée, le capot protecteur a fini en haut d'un sapin, catapulté par l'explosion du groupe moteur.

C'est à ce moment là que BlackHand a pris la route, avec son vieux sac en toile. "surveillez l'autre redneck qu'il touche à rien sans ma présence" lança t il avant de rejoindre la route défoncée.

L'inquiétude régnait sur le Village. Tout le monde était conscient de la gravité de la situation. Le bar de Cut', habituellement plein de joie, de rires et d'alcools était morose à souhait. La boutique était également aussi silencieuse qu'un cimetière. La brume environnante finissait de compléter le tableau, et ajouter à la tristesse ambiante. Le Pasteur faisait son possible pour motiver ses ouailles, maintenir la cohésion, le sourire et l'espoir.

Un soir, Gabby avait trop bu. Le Pasteur essayait une énième fois de redonner espoir à son Village. Gabby a violemment pris à partie le Pasteur, avec un énorme couteau. Sans l'intervention miracle de Cut', le Pasteur aurait fini parfaitement embroché. Alors que Gabby gisait au sol, au milieu des éclats de verre de la bouteille qui fut fracassée sur son crâne, le Pasteur ajusta ses lunettes sur son nez. Il ne souriait plus. Un silence de plomb régnait dans le bar, personne ne bougeait. Il fit demi tour sans un mot.

C'est à ce moment là que la cloche du Village sonna énergiquement. L'alerte venait d'être déclenchée par la sentinelle.


[...] C'est à ce moment là que la cloche du Village sonna énergiquement. L'alerte venait d'être déclenchée par la sentinelle [....]

Le tintement sinistre de la cloche n'était pas encore évaporé que le bar vomissait ses survivants. Tous brandissaient déjà une arme de fortune dans leur poing. Cut', Yamamoto et Jacob étaient quant à eux armés de fusils divers. C'est d'un pas décidé que le groupe fonça vers l'arrière du Village, d'où la sentinelle avait donné l'alerte.

Une silouhette imposante se demarquait dans la brume environnante. Les maigres éclairages à la bougie du Village ne perçaient pas l'epais voile. Les fusils furent immédiatement braqués. "Plus un geste, malandrin" lança Cut' "Qui êtes vous ?!" l'ombre continuait malgré tout d'avancer, un souffle rauque provenait de sa direction, il semblait tenir quelque chose dans ses bras. Le brouillard me permettait pas d'évaluer la distance exacte, mais il semblait déjà terriblement près. Yamamoto sortit son sabre de son fourreau, la lame refleta un instant la lueur de la bougie. Le Village était prêt à se battre, ce ne serait ni la première ni la dernière fois.

Contre toute attente, l'ombre s'arrêta et tomba à genoux. Ce qu'il tenait dans les bras roula au sol dans un bruit mat et lourd. L'ombre s'écroula sur le côté... Une bouteille roula dans la direction du groupe armé... L'étiquette indiquait "bière de navet/cuvée de BlackHand"

BlackHand était une des formes effondrée au sol. Cut' se précipita vers les deux corps. BlackHand était face contre terre. Ses vêtements étaient poisseux et collants; lorsque Cut' retourna le corps, il constata que la matière poisseuse était du sang coagulé. Une odeur métallique empli l'atmosphère. Il prit BlackHand dans ses bras et partit en courant vers le Dispensaire sans un mot. Son fusil trempait dans une mare de sang, au côté de la bouteille rougeoyante.

L'autre homme portait un masque à gaz, expliquant le souffle rauque. La cartouche semblait expirée depuis longtemps constata Yamamoto. L'homme était effondré sur son flanc gauche, du flanc droit sortait une tige métallique brillante. Du sang coulait en un filet ininterrompu, venant se mêler au sang de BlackHand... En attendant de comprendre ce qu'il venait de se passer, il fallait soigner cet homme à la barbe rousse et aux traits tirés. Il voulut le porter et constata qu'il pesait bien trop lourd... Un villageois lui porta assistance et un deuxième corps prenait le chemin du Dispensaire.

Le Dispensaire était en pleine effervescence. Le Pasteur hurlait des ordres. Ses manches étaient relevées jusqu'au coude, du sang maculait ses mains d'habitude irréprochables. Ses cheveux étaient en pagaille, le stress se lisait sur son visage. La Mère Supérieure s'affairait calmement mais sûrement à ses côtés. Elle savait qu'elle était la seule apte à soigner ces deux malheureux. À l'extérieur, les hommes veillait silencieusement à la lueur d'une bougie, dans le Bar. Cut' avait offert une tournée de bière de navet pour faire passer ce terrible évènement. Tout le monde pensait à BlackHand.

D'ailleurs, BlackHand était presque hors de danger. Un coup de surin rouillé dans son fland avait failli le saigner totalement. Il avait perdu énormément de sang et risquait la septicémie. Heureusement les stocks de sang étaient au plus hauts actuellement, et il restait quelques antibiotiques costauds dans les jupons écarlates de la Mère Supérieure. Il faudrait quelques temps avant que BlackHand émerge. Le plus préoccupant était l'autre homme. Une tige en fer avait été purement et simplement enfoncée entre les cotes du pauvre bougre. L'enlever pouvait lui coûter la vie, la laisser serait simplement le condamner à mort. Les choix n'étaient pas vraiment optimistes. Le Pasteur et la Mère Supérieure échangerent un regard inquiet. Les mains de la femme se posèrent sur les jambes et le bras du pauvre roux, dans un effort de maintien. Les doigts du Pasteur se refermerent sur la tige brillante... Et il tira d'un coup sec.

Cinq jours plus tard, un soleil radieux éclairait enfin Blue Gold. Une humidité résiduelle poisseuse collait les vêtements à la peau et rendait chaque mouvement pénible. Les moustiques pullulaient autour du Lac.

BlackHand s'était réveillé. Sa première demande avait été "Bieeeeeeeerre". Ce qui ne surprit personne. Apres la première goulee, son visage avait déjà repris des couleurs. Les vertus thérapeutiques n'étaient plus à prouver. BlackHand raconta ce dont il se souvenait. Alors qu'il fouillant un vieux magasin de bricolage à moitié bouffé par la forêt, des pillards lui étaient tombés dessus. Il avait réussi à en fumer deux sur les trois. Apparemment un clou dans la tempe ça fait tomber les pillards comme des poupées de chiffon. Le troisième avait réussi à le surriner et le laissa pour mort après l'avoir detroussé lui et ses deux ex amis raides. C'est alors que cet homme est arrivé. Il a surpris le pillard alors que celui ci était en train de se faire la malle. En une fraction de seconde, le ciel est devenu rouge. La tête du pillard venait d'être éparpillée par l'impact brutal du calibre 12 sortant d'un canon à moins de 40 centimètres. L'homme, sans hésiter, lui a immédiatement porté assistance. Sans ses premiers soins et son attention, BlackHand ne serait plus de ce monde. C'était BlackHand qui lui avait indiqué la route du Village, afin de sauver sa couenne.

Cet homme s'appellait Jimmy. Il reposait actuellement sur la paillasse à côté de BlackHand. Il cherchait le village désespérément et c'était le Village qui était venu à lui.

 

La chance lui souriait enfin.


...]

La chance lui souriait enfin.

[...]

Jimmy resta alité quelques jours, stagnant entre conscience et absences plus ou longues. La Mère Supérieure nettoyait régulièrement sa blessure tant et si bien qu'à l'aube du quatrième jour, Jimmy avait repris des couleurs. Ce matin était ensoleillé, chose relativement rare à cause du Lac et de sa perpétuelle brume. Aujourd'hui, le soleil dardait ses rayons brûlants à travers les fenêtres eventrées du Dispensaire, révélant les étonnantes nuances de rouge des tenues du Pasteur et de la Mère Supérieure. Jimmy était assis sur le bord du lit. Un epais bandage recouvrait ses côtes meurtries.

" Dites nous qui vous êtes" lança le Pasteur sans plus attendre, le reflet brillant d'un large couteau brillait à sa ceinture. Il ne fallait jamais baisser son attention dans ce monde.
Jimmy se frotta les tempes et raconta son incroyable périple d'un seul trait jusqu'à sa rencontre malheureuse avec BlackHand. À aucun instant il ne fit coupé par le Pasteur qui écoutait attentivement, derrière ses lunettes rondes et ses sourcils froncés. Il invita Jimmy à le suivre et ils quittèrent le Dispensaire cote à cote. La Mère Supérieure les suivait du regard. Personne ne sut exactement ce que les deux hommes se dirent à l'ombre des arbres. Leur promenade dura deux heures, ils firent plusieurs fois le tour du Village, le Pasteur désignait des lieux du bout des doigts et Jimmy acquiessait. Ils entrèrent dans le cœur du Village et le Pasteur accompagna Jimmy vers une bâtisse de parpaings bruts, lui glissa quelques mots et repartit en direction du Dispensaire.

A l'intérieur du Bar À Mines, un Cut' y allait de sa rumeur : "V'la qu'le Pasteur fait rentrer un inconnu. Et un roux de surcroît ! Sacré nom de Dieu, de mon temps on l'aurait brûlé sur un Bucher pour la Fête de la Moisson... Tout fout l'camp, j'vous l'dis !" plusieurs villageois hocherent la tête en signe d'approbation. Le vieux 33 tours diffusait du AC/DC, jusqu'à ce que le disque saute..." Salop'rie même ça fout le camp ! Du temps d'mes ailleux, on avait des mecs qui chantaient pour nous, et si ça deraillait on leur cassait les tibias, ça servait à rien ils chantaient pas mieux, mais ça faisait l'animation, n'est ce pas ?!".
C'est à cet instant que le Pasteur fit irruption dans le bar, Cut' sursauta si fort qu'il en renversa sa bière au navet. Il savait que le Pasteur n'appreciait guère les jurons.
" Cut', une caravane commerciale doit arriver aujourd'hui ou demain, je compte sur toi pour les accueillir comme il se doit. Il paraîtrait qu'elle arrive d'Asie celle ci. Je compte sur toi pour éviter les blagues racistes. Les indous de l'autre jour n'ont toujours pas digéré ta réflexion sur Bollywood."

Le marteau de BlackHand frappait sans discontinuer dans son atelier, lorsque la cloche du Village sonna. La caravane commerciale était là !

Tout le monde s'attendait à une énorme caravane, comme avec les indous... Mais ils étaient deux. Deux hommes, une charrette pleine à ras bord et un mulet. Novak éclata de rire, brisant le silence ébahi de la petite foule du Village.

Deux hommes d'origine asiatique se tenaient devant la foule. Un portait un costume usé mais impeccablement ajusté et jouait avec un jeton de poker entre ses doigts, l'air nerveux. Le deuxième, plus grand et corpulent, portait une tenue traditionnelle, et un sabre à la ceinture. Jimmy jeta un coup d'œil au Pasteur et s'avança.

-"Bonjour et bienvenue au Village de Blue Gold. Nous sommes ravis de vous accueillir, contrairement aux apparences et aux faces de merlan frits que vous avez en face. Je vous en prie, venez boire un verre au Bar à Mines. Combien de temps comptez vous rester ?"

Cut' s'affairait au Bar en ronchonnant. Les gens était affairé autour des deux inconnus et posaient mille questions, intrigués par le sabre et le contenu de la charette. Le grand en tenue asiatique raconta son périple pour arriver jusqu'ici. Son accent fit sourire au départ, puis les gens n'y firent plus attention. La charrette contenait ce qui fut la Forge, en pièce détachée. Il cherchait un endroit où s'installer pour y vivre paisiblement et faire profiter de ses talents de maître forgeur. Selon ses dires, il savait souder n'importe quel métal, et connaissait le fonctionnement des armes à feux. Le Village avait cruellement besoin d'un technicien sachant manier le fer. Les fortifications, la Pompe ou même les armes défectueuses avaient furieusement besoin d'entretien... Hinri restait discret et dégustait sa bière au navet. Il faisait semblant à vrai dire, car il détestait l'alcool. Hinri était croupier dans un des plus grand casino de luxe de Macau lorsque l'Aube Rouge avait rasé le monde. Il avait récupéré tout ce qu'il avait pu des décombres du casino et avait erré sans but... Jusqu'à ce qu'il tombe sur Yamamoto et sa charette. Le courant était vite passé et milles et unes aventures s'en sont suivis mais... C'est une autre histoire. Aujourd'hui dans le Bar à Mines, quelques curieux regardaient les jetons de Poker qu'il avait étalé devant lui.
"Tu sais jouer ? Ça fait des mois qu'on cherche des jetons et des cartes, les pillards ont tout pris à des kilomètres à la ronde... Tu en as ?"

Et c'est ainsi qu'ils furent invités à rester dans le Village.

Les nouveaux arrivants, Jimmy le survivant, Yamamoto le forgeur et Hinri le croupier venait d'allonger la liste des habitants de Blue Gold en l'espace d'une journée. La confiance du Pasteur etonna tout le monde, mais il avait toujours eu du flair pour ce genre de choses.

La seule chose inquiétante était que depuis l'altercation du Bar, personne n'avait revu Gabby. Il devait encore être en train de cuver sa bière dans un coin.

Au loin, Jacob était à l'auree de la forêt Nord, avec Gustave son mouton. Oui, SON mouton. Pour une raison inconnue, cet animal se comportait comme un chien avec Jacob et ne le lâchait jamais...

C'était un beau jour plein d'espoir au Village. Le Pasteur observait ce beau monde depuis le Dispensaire, la Mère Supérieure tenait son bras. Les éclats de rire qui provenaient du Bar faisait chaud au cœur.

 

L'espoir était permis.


 

Alors que le village prenait petit à petit sa forme définitive, une menace planait à l'horizon....

Cut' tenait son bar avec nonchalance comme à son habitude. Il négociait les bières au navet avec un BlackHand en phase de rupture de stock, ce qui faisait monter ses prix. Pas le dernier des imbéciles ce BlackHand. Il travaillait d'arrache pied pour améliorer sa brasserie. De vilaines fuites multipliaient par deux le temps de brassage. Il détournait discrètement du scotch isolant et autres babioles destinées à la Pompe. Après tout la bière, c'était le nerf de la guerre d'une certaine manière, et ce détournement semblait tout à fait justifié, à son humble avis.

Henri prenait ses marques dans le bar, de nombreux curieux venaient le solliciter à voix basse pendant les discours du Pasteur. Il devait rester discret car le jeu était mal vu par le responsable du Village... En parallèle, Yamamoto, son compagnon d'infortune, installait son nouveau nid petit à petit. Il avait pris le partie de faire tomber deux cloisons dès les premières minutes, sans solliciter personne. Sa motivation prenait le dessus sur la réflexion. Il le sentait bien ce Village, même si le Pasteur était particulier.

Jimmy avait été discrètement installé dans ce qui ressemblait être un bureau et une prison. Il comprit très vite quel rôle lui avait été attribué. Sa forme massive, son aplomb et son opiniâtreté l'elevait sans nul doute en figure forte du futur. Sa barbe flamboyante flottait au dessous du panneau fraîchement installé Sheriff. Ce soir là, le Pasteur s'était élancé dans un discours plein de verve sur la sécurité, l'honnêteté, la transparence et la force du Village. Les sentinelles avaient répérées un immense groupe la veille. Un logo de loup rouge ne laissait aucun doute sur l'appartenance dangereuse aux pillards. Depuis quelques mois, ils s'étaient rassemblés, passant du groupuscule à hordes degenerees. Il ne faisait aucun doute que cette menace planait sur le village et son or bleu.
Jimmy avait été nommé responsable de la sécurité ce soir là, et la peur des pillards aidant, il avait été adulé dès sa nomination malgré la méconnaissance du personnage. Le Village avait juste besoin d'être rassuré par un homme fort et brutal.

Jacob trimballait joyeusement son mouton, engendrant railleries, moqueries mais au fond... Tout le monde était attendri de voir autant de joie dans les yeux de celui qui parlait aux moutons. Même ce satané mouton semblait sourire en permanence. Novak n'était pas dans sa meilleure forme. Son magasin ne tournait presque plus du fait de la présence de pillards aux alentours. Il s'agissait d'un très mauvais signal pour les caravanes commerciales. Il était donc naturellement le premier du Village à nettoyer son fusil, prêt à protéger sa richesse.

Un nouveau soir calme et humide, bercé par les croassement des crapaux, des lampes à huile avaient été installées au bord du Village et donnaient une atmosphère irréelle au lieu. C'était beau, c'était calme. Une nouvelle fois la cloche sonnait. Des humains approchant pas 'e côté Ouest du village. Ils étaient deux. Ils étaient enfin là. Les Pillards et leur symbole menaçant.


Ils étaient deux. Ils étaient enfin là. Les pillards et leur symbole menaçant.

Le Village était en alerte. Les rumeurs rapportées par les caravanes commerciales faisaient état de zones ravagées, de viols, de massacre, et d'actes particulièrement barbares commis par ce groupe de pillards facilement reconnaissable par le loup rouge présent sur leur tenue. Lorsque l'alerte fut donnée, plusieurs hommes grimpaient déjà quatre à quatre les marches donnants sur les remparts. Les fusils étaient chargés. Ils se positionnerent sur les toits et leur deux pillards furent dans leur viseur. Les deux hommes étaient étonnamment calmes, immobiles. Ils dardaient un regard méprisant vers les hommes qui les menaçaient.

Le Pasteur s'avança alors seul, sur la route. Il ne portait aucune arme. Il s'approcha des deux hommes et parla calmement, doucement. La scène dura très peu de temps. Il fit demi tour et offrit son dos aux deux pillards, visiblement agacés par l'attitude du Pasteur. Les villageois renforcèrent leur position, prêt à faire feu. Les Pillards étaient là vérole de ce monde déjà malade, sans pitié, sans morale. Abattre un homme dans le dos était loin d'être une honte.

Les deux pillards firent finalement demi tour, une lueur mauvaise brillait dans leurs yeux. Leurs regards sombres semblaient transpercer le Village. Au loin, Jacob revenait d'une promenade avec Gustave, le célèbre mouton de Blue Gold. On entendait Jacob rigoler malgré la distance. Ce mouton avait été le seul réconfort de cet homme, à qui l'aube Rouge avait tout dérobé. Gustave et Jacob allaient croiser les deux pillards.
La lueur d'une lame brilla soudainement.
Une seconde plus tard, la tête de Gustave roulait sur le sol et était déposée dans les mains d'un Jacob en état de choc. Le Village assistait à la terrible scène. Yamamoto degaina son katana, Cut' sortit son vieux fusil et d'un seul pas, prenaient la route vers Jacob. La haine profonde, celle qui torture l'homme jusqu'au plus profond de sa nature, se lisait sur leur visage. D'autres villageois emboiterent le pas.

Au loin, on entendait la plainte hurlante de Jacob, qui courrait en direction du Village, la tête de Jacob dans les mains, rependant lamentablement son sang sur les vêtements du malheureux. Il hurlait à l'agonie, Jacob. Ses yeux étaient inondés de larmes. La détresse avait pris le contrôle de son corps. La vision de ce Jacob en état de malheur ultime renforça la marche de la vendetta et d'autres hommes et femmes grossirent la foule en colère. Au moment de franchir les portes du Village, le Pasteur était au milieu de la route, les bras écartés, l'air grave. Chose rare, la mère supérieure était avec lui, hors du Dispensaire. Elle ne quittait jamais le Dispensaire. Le Pasteur parlait doucement mais surement:

-"Mes amis, l'heure n'est pas à la revanche. Pas maintenant, pas comme ça. Je ne veux perdre aucun d'entre vous dans un assaut inconscient. Le Village n'a pas besoin de ça. Jacob est notre ami. Nous allons le venger, mais nous allons surtout détruire ces saloperies. Pardon. Nous allons mener une attaque coordonnée. Gardez votre haine, gardez votre violence. Ce soir, les pillards ne seront plus. Préservez et epaulez notre ami, maintenant, il en a besoin"

Le Pasteur fit signe a Jimmy, BlackHand et Yamamoto. Il murmura à l'oreille de Novak. Il fallait des munitions, beaucoup. Le groupe s'éloigna et pris la direction du Dispensaire. La nuit serait rouge. La nuit serait terrible. La nuit serait une nouvelle page de l'histoire du village et de sa lutte pour sa propre survie.

Retrouver les Pillards fut un jeu d'enfants. Ils étaient nombreux mais très peu disposaient d'armes à feu. En revanche le travail acharné de Yamamoto, associé aux astuces de Novak avaient permis d'assembler de nombreuses armes rudimentaires, récupérer et nettoyer des fusils d'assauts et avoir suffisamment de munitions pour raser une ville moyenne. La nuit s'annonçait brûlante, et bercée par les claquements métalliques des armes à feu. Trois groupes furent formes, dirigés par Yamamoto, BlackHand et Jimmy. Cut' et le Pasteur avaient pris le chemin principal seuls. Le Pasteur avait été préalablement protégé par une plaque en fonte sous son épaisse veste rouge. Rouge comme le Sang.

Au loin, les yeux inquiets de la Mère Supérieure laissaient rouler une larme brûlante sur sa joue vallonnée et irrégulière.

Cut' et le Pasteur arrivèrent au camp des Pillards. On les sentait de loin. Mélange de crasse, d'urine, de fumée et... De cuisine. Gustave, ou ce qu'il en restait trônait sur une broche face à un homme assis, la barbe blanche. Un des deux hommes qui étaient venus au Village, sans doute le chef de ce ramassis répugnant.

Le Pasteur ajusta ses lunettes, et s'avança. Cut' semblait nerveux, son regard balayait la zone, oscillant entre les tentes en friche, les pillards qui ricannaient bêtement et les femmes apeurées rassemblées sous une tente defraichie.

-" Vous aviez donc eu ma dernière sommation. Et vous avez commis l'irréparable. Savourez votre repas, je vous en prie. Régalez vous de la chair de Gustave. Nous nous reverrons très prochainement".

Il fit demi tour sous les rires des pillards. Il y avait des insultes. Cut' dressait son doigt dans le dos du Pasteur à tout ces chiens de pillards. Une corne fit entendre sa mélodie inquiétante. La marche était lancée.

Un silence de plomb alourdissait la forêt dans laquelle s'étaient installés les pillards. Les oiseaux étaient étrangement silencieux. Un clic se fit entendre dans la forêt, un chien venait d'être armé.

Un hurlement brut, massif s'echappa de dernière un grand chêne. Jimmy venait de lancer l'assaut punitif du Village. Le sang se répandit. Une succession fabuleuse de tirs s'enchaîna, provenant de toute part. Le camp était encerclé et labourré par la centaine de munitions qui venaient d'être tirées en quelques secondes. L'atmosphère était saturée par l'odeur du sang, du métal et de la poudre. Des hurlements de douleur provenaient de ce qui fut le campement temporaire des pillards. Des corps baignaient dans des flaques sombres. Des membres avaient été littéralement découpés par les salves de balles. Le Village avait eu sa revanche. Les pillards avaient payé pour leur trop grande confiance, sécurisés par l'absence de réaction immédiate.

Le Pasteur fit demi tour, laissant agoniser les quelques rats qui tenaient encore debout. La leçon avait été donnée, le sang avait coulé, noyant la détresse de Jacob qui profita de l'accalmie pour récupérer la carcasse du pauvre Gustave. Quelques jours plus tard, une tombe serait construite à l'effigie de l'animal et serait un lieu de pèlerinage quotidien du pauvre homme, brisé à jamais.

Ce soir là, la sécurité du village avait été accentuée. Les portes bloquées et les gardes renforcées avaient permis une sérénité totale. Un court discours du Pasteur avait félicité ces hommes et femmes qui avaient calmement vengé Jacob. Sans pitié. Le Village avait assuré sa survie et assis son statur de place forte.

Le lendemain, le campement des pillards était vide. Les survivants n'avaient même pas pris la peine d'enterrer leurs cadavres. Ils furent inhumé dans la noirceur de la forêt, sans cérémonie ni tombe. Le Village était violent mais pas inhumain.

 

Le Pasteur restait pensif depuis son retour de la vendetta... Une chose étrange avait eu lieu ce soir là, masquée par la fumée et les détonations des armes à feu. Des yeux dans la forêt.



Le Village a renouvelé ses recherches aux abords du Lac. Tout le monde voulait être certain que les pillards étaient bel et bien hors d'état de nuire. Et effectivement, il n'y avait plus aucune trace de cette vermine. Les tombes rudimentaires avaient reçues des accessoires comme des colliers, un casque et des balles. La poignée de survivant avaient dû se recueillir avant de reprendre la route, et c'était très bien ainsi.
Le soleil accompagnait cette bonne nouvelle, comme un signe du destin. La convalescence de BlackHand était fulgurante. La boue du Lac traitée par la sage femme du Dispensaire faisait des miracles. Le soleil créait une brume mystique dans laquelle filtraient des rayons majestueux. Aujourd'hui, le Village était baigné dans un atmosphère féerique. Cela se ressentait sur le comportement des hommes qui y habitaient.

BlackHand s'était levé tôt pour repartir en exploration. Ces escapades étaient son oxygène pour ne pas devenir fou. Cut' profitait du beau temps pour nettoyer son bar de fond en comble et vu la couleur de l'eau de rinçage, ce n'était pas du luxe ! La Forge de Yamamoto tournait à plein régime, aujourd'hui il fondait un nouveau capot pour la pompe, avec une doublure plombée pour préserver l'eau traitée des radiations environnantes. Il avait de bonnes idées pour satisfaire le Village.. Vers midi, BlackHand revint en courant depuis la frontière nord. Il avait trouvé quelque chose.

Assis au bar, le souffle court et une bière fraîche à la main, il raconta son exploration et comment il découvrit l'entrée d'un bunker soviétique, datant de la guerre froide probablement au vu des inscriptions en cyrillique sur la porte. Il n'avait pas osé rentrer, faute d'éclairage satisfaisant. Et parce qu'il avait déjà eu sa dose de mésaventure à sa précédente escapade.
Il fut décidé d'une exploration immédiate. Plusieurs hommes s'était équipés et avaient suivi le jeune barbu à travers la forêt, en direction de son incroyable trouvaille.

La porte était là, devant leurs yeux. Cet endroit n'avait visiblement jamais été exploré, au vu de la rouille sur la porte close. Un arbre était couché sur le toit de l'abri, camouflant efficacement le tout. Pas assez pour les yeux et l'instinct de BlackHand. La porte céda au troisième coup de pied de biche. Le métal russe était aussi mauvais que la légende le disait, coupé et recoupé de materiaux bas de gamme. La porte s'ouvrit dans un profond bruit métallique. Les lampes torchent s'allumerent d'un seul trait et les hommes descendirent les marches rouillées. Les grincements à l'intérieur étaient terribles, toute la structure semblait précaire. Des bruits de gouttes d'eau, de plomberie et un crépitement lointain donnaient un atmosphère inquiétante dans un lieu déjà glauque.
Le bunker était très réduit au final, seulement trois pièces mais... Quelle découverte ! Dans la première pièce se trouvait des caisses entières de munitions de tout calibre ! Hélas la moitié d'entre elles étaient mal scellées et la rouille avait dévorée l'essentiel, laissant une poudre informe métallisée au fond. La seconde pièce contenait tout un arsenal d'armes à feu. Chose étonnante, il y avait des modèles très différents et... Pas forcément russes. Peut être cet endroit servait-il a l'armée rouge pour entreposer du matériel étranger pour se former à leur utilisation. Cet endroit ne révélerait pas plus de ses secrets, les maigres documents présents avaient été détruits par les fuites d'eau, plus rien n'était lisible. La troisième et dernière pièce contenait des vivres, des conserves. 1983. Même sous vide, cet incroyable source de nourriture serait inutilisable. Le botulisme était la dernière chose dont avait besoin le Village. Et de toute manière, la nourriture ne manquait pas !

Chacun embarqua ce qu'il put. Les sourires illuminaient leur visage. Ces armes leur garantissaient une sécurité supérieure si d'autres brigands venaient à menacer les pierres du Village. Les plaisanteries allaient bon train, la bonne humeur envahissait l'antique bunker alors que le groupe rejoignait la sortie. Sur leur dos, des ak47, des m14, des fusils à pompes, des armes de poings. Ils avaient mis la main sur quelque chose d'aussi précieux que la pompe du Village.

 

Alors que le groupe franchissait l'epaisse porte en métal du bunker, un bruit métallique puissant résonna dans les entrailles du bâtiment. L'escalier en métal rouillé était en train de céder sous le poids des hommes et du matériel. Un vent de panique soudain précipita les hommes vers la sortie. L'escalier chancela et s'écroula dans un terrible fracas. L'écho résonna lourdement dans l'obscurité poisseuse, un silence de plomb appuyait les yeux écarquillés de ceux qui avaient réussis à sortir... Deux manquaient à l'appel: Roger, qui cultivait des navets pour BlackHand et... Le Pasteur.



[...] Deux manquaient à l'appel: Roger, qui cultivait des navets pour BlackHand et... Le Pasteur.

Les échos de la chute de l'escalier métallique resonnaient encore dans le vieux bunker. La rouille aurait dû alerter tout le monde, mais l'euphorie avait pris le dessus sur la raison. BlackHand se pencha au dessus du vide formé par l'escalier manquant:
"Hey les clodos, ils vont bien ?"

Aucune réponse, pas même un râle. Seul l'écho retentissait entre les vieux murs soviétiques.

"Bon bah il est raide le Pasteur et sa calvitie. Bon vent, j'vais pouvoir me faire plaiz' avec la bière, p'is la p'tite nonne elle est pas vilaine.. Allez je rentre bercail, faites ce que vous voulez les débiles !"

BlackHand fit demi tour en sifflotant. Le monde d'aujourd'hui était impitoyable, froid, violent. La présence de l'homme n'était devenu qu'une suite illogique d'addition et de soustraction. BlackHand était de ceux qui n'avait guère cure de la mort ou de la vie d'un autre, pourvu que ses affaires perdurent. Aucune dette, aucune culpabilité, la survie coûte que coûte, en mettant en berne le peu d'humanité disponible.

Les autres restaient pantois. La réaction de BlackHand cloua le bec à tout le monde. Pourtant aucun ne voulait laisser les deux hommes au fond du trou. Le Village était la famille. Le Pasteur avait donné tellement. Il méritait au moins une sépulture. Une corde fut lancée dans la bouche sombre et béante du bunker. Un homme descendit:

"Bordel il est vivant le Pasteur, il est juste inconscient ! Roger est raide par contre, c'est pas beau à voir... Envoyez des cordes les gars ! Plus vite bordel, le patron est bien amoché !"

Un système de treuil permit de remonter les deux corps. La chute de Roger avait visiblement amorti celle du pasteur, qui avait suivi de peu. Roger avait fini embroché comme une dinde à l'aine et au cou. Il n'avait pas dû souffrir. Le Pasteur avait encaissé la barre métallique ayant traversé la gorge de Roger en pleine poire. Du sang coulait de son visage. Ses lunettes étaient de traviole. Le Pasteur était inconscient.

Une partie du groupe partit vers le village avertir les autres, et ramener les précieuses armes par la même occasion. Ce n'était pas le moment de se faire voler leur précieuse cargaison. L'autre partie resta avec le Pasteur et appliqua quelques premiers soins. Un brancard rudimentaire fait de deux m14 et d'un tarp emporta le corps de Roger en direction du village. Le Pasteur reprenait conscience, il hurla. Son visage le brûlait, il ne voyait plus rien d'un œil. Du sang rouge vif continuait de couler de sa profonde blessure, maculant son impeccable chemise blanche. Il fait peur à voir, habituellement tiré à quatre épingles.

De l'eau fut versée sur son visage et sa blessure fut épongée.

"Laissez moi me lever bordel, en me couchant vous faites affluer le sang dans ma tête, vous voulez me terminer ou quoi ?"

Il prit appui sur un villageois et se mit en marche. Il boitait mais avancait. Heureusement que le village n'était pas loin. Il refusa toute aide de quiconque par la suite. Il pensait à Roger. Pauvre homme. Il était là depuis le départ, discret, simple, humain. Il était parti sans douleur, et en sauvant la vie du Pasteur malgré lui. Il aura une superbe supulture, près des arbres au Nord. Seul le fou s'occuperait désormais des navets...

L'arrivée au Village fut remarquée, une petit foule s'amassait dans la cour principale, dont la Mère Supérieure qui accourait depuis son dispensaire. Elle prit la visage du Pasteur et pencha sa tête vers le ciel en l'examinant. Elle le prit par les hanches et le traîna sans un mot vers le Dispensaire.

 

Jimmy suivait la scène depuis l'enceinte intérieure. Une nouvelle journée au Village, sombre celle ci. Un nouveau cadavre à enterrer. Le contour du Village devenait un vrai charnier. La terre serait bien fertile au moins...
Il restait dubitatif sur les récentes disparitions autour du Village. La semaine dernière trois hommes étaient venus au village. Il avait disparu le soir même, après leur sortie en etat d'ébriété avancée du Bar à Mines. En tant que Sheriff il avait été jeter un coup d'œil. Les affaires des trois hommes étaient toujours au pied de la paillasse, comme leurs chaussures.... La cloche retentit, c'était l'heure de la Cérémonie de l'eau, comme toutes les deux heures. Il prit son armure rudimentaire, verifia que son AK était chargée et prit la direction du centre du Village.


Cet été était exceptionnel. Les saisons avaient été bouleversées par le cataclysme radioactif de l'Aube Rouge, mais jamais encore le thermomètre n'était monté aussi haut dans cette région habituellement tempérée. La mise en place de ce pèlerinage avait probablement permis de sauver quelques vies.

Le Village, mené par le Pasteur désormais balafré, avait pris le chemin des montagnes, loin de la chaleur écrasante de la plaine où se situait Blue Gold. La pompe avait été préalablement démontée et stockée afin de pouvoir à nouveau servir lors de leur retour. La route fut longue, plusieurs jours de marche, mais ils avaient atteint leur but.

Des gouttes de sueur perlaient sur le front du Pasteur. D'ordinaire très soigné, on l'apercevait ici mal rasé, la chemise ouverte. A ses côtés se tenait Venum. Lui aussi souffrait de la chaleur, et sa peau était brûlée, son nez pelait. Du haut d'un promontoire rocheux ils désignaient du doigt un lieu en contrebas. Ce lieu était leur cher village, terriblement minuscule depuis cette altitude. Le village ondulait, déformé par les strates de chaleur provenant du sol et de l'évaporation progressive du Lac, et témoignant de la forte chaleur en plaine.

Derrière les deux hommes se trouvait le village provisoire, faits de bric et de brocs. Des cabanes rudimentaires, un feux central, des marmites... Ils s'étaient installés dans un sous bois, à l'abri des rayons solaires brûlants, profitant de l'humidité et de la fraîcheur des arbres. Les hommes avaient dû réapprendre à survivre, plus ou moins difficilement selon les personnes. Cut' passait le plus clair de son temps à ronfler bruyamment, Jimmy et BlackHand s'occupait régulièrement de la coupe du bois. Jacob, la Mère Supérieure ou le Pasteur pechait régulièrement dans le cours d'eau qui alimentera it, des centaines de mètres plus bas, le lac de Blue Gold. L'eau était parfaitement saine à cette altitude, préservée des radiations par des kilomètres de roches d'où provenait la source.

Ils avaient bien pensé à s'installer ici, mais la nourriture était rare. À cette altitude, les animaux étaient plus sauvages, plus méfiants, et le Village peinait à les traquer. De temps en temps, en contrebas, ils entendaient retentir de terribles hurlements dans le cœur de la Vallée. Dieu seul sait ce qui pouvait produire ces si terribles sons !

L'été était à son paroxysme, ils ne rejoidraient pas le Village avant au moins deux mois, peut être trois. Les conditions de vie étaient rudimentaires, mais au moins, ils survivaient. Et dans ce monde, c'était la chose la plus importante.


 

Aujourd'hui, au village temporaire dans la montagne, nous retrouvons un semblant d'humanité. Jimmy s'est servi du cours d'eau environnant pour créer une turbine. Le courant alimente un genre de moulin fait de plaques d'immatriculations, qui alimente un petit générateur. Grâce à ça, il a nouveau pu faire fonctionner sa radio... Une douce musique berce le Village, des sourires réapparaissent sur les visages fatigués et émaciés, certains se laissent même porter par le rythme des Animals et leur House of Rising Sun... Ils aimeraient bien la retrouver leur "house". Ce petit réconfort panse les cœurs et les estomacs lourds. On ne mange pas à sa faim dans la montagne même si l'air y est plus pur.

Le Pasteur a un drôle de comportement. Il fait des aller retours entre une vieille cabane où il a établi son campement avec la Mère Superieure et la crique surplombant la plaine. En contre bas, on peut apercevoir le Village de Blue Gold, vide de toute vie. Le lac diffuse toujours son halo vibrant. Les températures semblent toujours très hautes en bas. Le Pasteur est inquiet, il ne parle pas beaucoup. Il ne diffuse pas son inquiétude aux villageois, déjà abattus par la famine et la chaleur. Ses allers retours lui ont permis de se rendre compte qu'ils ne pourraient pas se rendre au Village avant le mois de Novembre, le temps que le lac ne retrouve un niveau acceptable, noyant les strates de sédiments radioactifs. Même des années plus tard, l'aube rouge continuait de détruire l'humanité.

Abib et Jacob se révélaient de vibrants chasseurs. Ils revenaient régulièrement les mains pleins. Les collets se multipliaient dans les bois entourant le village temporaire. Ils arrivaient également à chasser à l'ancienne avec des lances. Cette dernière technique était tout de même plus approximative. La seule fois où Jacob est revenu avec un jeune daim, il visait en réalité une biche 5m plus haut.

Cut' travaillait à faire fermenter tout ce qui pouvait tomber sous ses mains. Le manque d'alcool semblait plus présent qu'il ne l'aurait pensé. Les résultats étaient infects. Seul BlackHand avait le secret de transformer un ingredient d'ordinaire dégueulasse en une boisson passable. De ce fait, Cut' passait le plus clair de son temps à maudire le Pasteur, où rejeter la faute sur les asiatiques et je cite "leur saloperie de regard malsain, ça fait tourner la bibine". Heureusement Yamamoto et Henri avait d'autre priorité et contribuant tout les jours à améliorer le campement par de simples bricolages.

BlackHand étudiait attentivement Blue Gold lui aussi. Il avait les jambes qui demangeaient. Il n'aimait pas rester trop longtemps au même endroit, il avait besoin de bouger. Il partageait ses études avec le Pasteur. L'autre soir il avait vu danser des lumières dans les allées désertes du Village. Des hommes vivaient encore en bas et étaient en train de visiter leurs maisons. BlackHand avait demandé au Pasteur si il pouvait jeter un coup d'œil tout en restant prudent. Il faut dire que sa dernière aventure avec Jimmy lui avait servi de leçon et avait calmé une partie de ses ardeurs. Le Pasteur avait accepté et BlackHand s'était mis en route dans la soirée, à la lueur d'une vieille lumière frontale rouge, sans au revoir ni mot superflu.

BlackHand réapparaîtrait trois jours plus tard.


Aujourd'hui, le Lac subit la sécheresse avancée de ces quelques dernières semaines. La chaleur caniculaire rendait la moindre chose pénible au Village. Une chaleur lourde, moite alourdissait chaque mouvement et mettait à mal la Pompe.

Au loin, toujours aucun mouvement. L'appel avait il été vehiculé assez loin ? N'y avait il pas eu un soucis lors de la transmission ? Jimmy avait été formel:
-"Je te promet Pasteur, que la transmission à été fluide et lointaine, peut être les gens ont ils seulement peur ?"

La Pasteur était inquiet ces derniers temps. Il ne quittait plus le Dispensaire. La Forêt était agitée ces derniers temps, mais le plus perturbant était le Lac. Les fortes chaleurs l'avaient fait diminué de moitié en l'espace de quelques jours. Rien ne semblait realimenter le lac qui révélait jour après jours de nouvelles strates inférieures de sédiments. Le vrai problème venait justement de ces sédiments: ils étaient saturés de poussières radioactives, capturées lors des retombées du premier hiver nucléaire... La mise à nu de ces strates avaient fait augmenter le taux de radioactivité ambiant de manière exponentielle. Pour l'instant il arrivait à masquer ces informations pour ne pas effrayer les habitants mais à terme... Il leur faudrait effectuer un pèlerinage et revenir après l'été...

La décision fut prise le soir même, dans le Bar À Mines. Le Pasteur annonça sobrement les événements en cours et le taux de radiation inquiétant. La Pompe commençait à montrer des signes de faiblesse, et devait être préservée pour éviter la casse définitive. Le Grand Pèlerinage estival venait d'être décidé. Le Village ferait ses affaires et irait profiter de la fraîcheur de la forêt environnante durant quelques mois....

[Hrp] Vous l'aurez compris, le faible nombre de participants nous oblige à repousser cette OP. Nous ne savons pas vraiment ce qui a pu bloquer les inscriptions. Le scénario, les règles restrictives, le rôle play, la date ? Dans quelques jours nous vous proposerons de voter pour des dates sur les mois de Septembre et Octobre 2019. Nous vous laisserons la possibilité de vous exprimer et d'annoncer vos desiderata, car cette OP, est par essence aussi la vôtre ! D'avance merci pour votre soutien et votre aide, vous êtes formidables !

Sans regret, il y a trop de radiation autour du lac de toute manière.

 


Le soleil se levait doucement sur le camp de fortune.

Les rayons solaires étaient agréablement filtrés par les verts feuillages de la forêt dans laquelle ils s'étaient installés. Une douce odeur de pins venait se mêler à la fraîcheur du ruisseau adjacent. Un silence apaisant formait un cocon salvateur pour le petit groupe de survivants. Une légère brume accompagnait les dernieres vapeurs de sommeil alors que le Village se réveillait. Jimmy était le seul debout et déjà en train de vérifier que la turbine de fortune fonctionnait toujours. Plus haut, la porte de la petite cabane délabrée s'ouvrait et laissait apparaître une robe rouge écarlate. La compagne du Pasteur profitait des premiers rayons du soleil.

C'est alors qu'un cri terrifiant déchira l'atmosphère.

BlackHand était revenu aux portes du campement. Il était allongé au sol, les yeux fermés. Un masque de terreur occupait son visage. Plus exactement son tronc était revenu. Ses jambes traînaient lamentablement plusieurs dizaines de mètres plus bas.

La femme qui venait de faire cette terrible découverte était tétanisée et fondait en sanglots. Une chape de plomb enveloppa le campement. Les yeux étaient exorbités, les bouches pendantes. Plusieurs hommes furent pris d'un haut le cœur instantané et s'éloignerent précipitamment du corps démembré de BlackHand. Une odeur de sang recouvrit soudainement l'odeur des pins.
Jimmy et le Pasteur devalaient la plaine et se frayerent un chemin vers le centre d'attention de cette matinée pourtant si belle. Le Pasteur resta figé, le regard braqué vers ce qui fut le corps de BlackHand, à présent déchiré, meurtri, saccagé. Il couvrait sa bouche et son nez de sa main droite. Jimmy fut le premier à prendre la parole et demanda au gens de s'éloigner.

Au campement, un homme s'agitait et retournait sa paillasse. Cut, les larmes aux yeux rassemblait toutes ses bouteilles aupres de feu central. Il baragouinait des insultes à l'encontre de BlackHand, l'air effondré:
"Même pas foutu de survivre salopard, t'étais con comme une poêle mais putain t'avais pas le droit de faire ça...". Il offrit une bouteille à chaque pauvre âme qui venait perdre son regard dans le feu... Les larmes tracaient des sillons clairs sur sa peau crasseuse, sa voix tremblait alors qu'il insultant copieusement celui qui fut le responsable de l'atelier...

Discrètement, deux hommes creusaient un trou, face à la vallée baignée dans le soleil matinal. Yamamoto et Henri s'affairaient à offrir une sépulture décente à BlackHand. Il aurait aimé savoir que sa dernière demeure serait face à la vallée, loin des hommes et de leur folie. BlackHand avait souffert et connu le martyr. Il méritait un repos éternel agréable.

Jimmy et le Pasteur avaient recouvert le corps d'une épaisse bâche verte. La mère supérieure, le visage couvert par un masque, prélevait des choses au niveau du bras droit de BlackHand. Le corps de BlackHand était séparé en deux au niveau du tronc, ses jambes étaient dispersées à plusieurs mètre en contre bas. L'un d'elle était rongée, et l'autre pelée comme une banane. Une banane sanguinolente, recouverte d'un essaim de grosses mouches vertes. La besace de BlackHand reposait dans sa main gauche. Le Pasteur degraffa l'œillet frontal du sac et ouvrit le rabas en tissus. Il y trouva un journal de bord, des conserves, un vieux révolver rouillé et un pendentif. Il fourra tout le bric à brac dans sa besace et l'ota de la main crispée du pauvre malheureux. Sans un mot, il partit la besace à la main en direction de sa cabane. Ses mâchoires étaient contractées. Il ne voulait rien montrer, le Village n'avait pas besoin de ça, il devait être fort. Il pourrait lâcher ses émotions à l'abri des murs en bois...

Alors que le Pasteur tournait les talons, Jimmy demanda à la mère supérieure:
- " Quel carnage.... Je pensais ce débile increvable apres notre dernière aventure... Qu'est ce qui a pu faire ça ?"
Elle leva les yeux et dirigea ses yeux rougis vers le grand roux:
" Je n'ai jamais vu un corps aussi abîmé. Cela pourrait être à peu près tout. Un homme acharné, un animal. Peut être a-t-il fait une mauvaise rencontre et un animal a fini le travail... Reste à expliquer comment il a été disposé ici... Les plaies sont quand même curieuses et... Il manque des bouts. Jimmy, vous pensez qu'on est en danger ? Doit-on reprendre la route ?"

 

Jimmy ne savait quoi répondre. Il plongea son regard vers l'horizon, en quête d'une pseudo réponse. Qui ne vint jamais.


 

L'heure était au recueillement.
Le Pasteur était resté reclus dans sa cabane de fortune toute la journée, avec la besace de BlackHand. Le Village était resté bien silencieux aujourd'hui, les musiques choisies par Jimmy invitaient à l'apaisement, aux pensées mélancoliques. Tout au long de la journée, de petits groupes se formaient autour du feu, se remémorant les aventures de BlackHand. Autant ce dernier avait su être la dernière des raclures, autant il restait à l'écoute et il n'était pas rare de le voir les mains pleines de trouvailles à destination du Village. Aujourd'hui Blackhand n'était plus. Il reposait dans le soleil brulant et rouge du crépuscule qui pointait au loin. Son repos éternel faisait face à un superbe panorama, avec le Village en contrebas.
Le monde d'aujourd'hui voyait défiler les âmes comme des numéros et BlackHand était l'un d'entre eux. Les villageois resteraient durablement marqué par cette perte, plus que n'importe quelle autre. BlackHand avait cependant emporté avec lui la recette de la bière de navet, au plus grand désarroi de Cut' qui allait devoir s'en passer… A moins qu'il ne parvienne à la reproduire. Le responsable de l'atelier était parti avec ses nombreux secrets et découvertes, notamment sa cartographie locale particulièrement précise. Voilà en partie pourquoi le Pasteur avait emporté la besace du jeune BlackHand: afin d'en retirer l'héritage, et qu'il ne soit pas mort pour rien.

Un autre mystère planait: comment était-il mort? Qu'est ce qui avait pu abimer son corps à ce point? Le Pasteur soupçonnait une torture particulièrement brutale, ou des animaux féroces. Le corps avait été coupé et déchiré en deux, il fallait une force phénoménale pour déchirer un corps humain de la sorte.

Alors que le soleil laissait petit à petit place à une lune rousse, le vent se leva doucement apportant une fraicheur inespérée à cette époque de l'année. Des flambeaux entouraient la tombe de BlackHand. La terre fraichement retournée était ornée de petits fleurs inconnues rouges, blanches et jaunes, glanées dans les prés environnants. Une croix était plantée au sommet de l'amas de terre. Sur la pointe de cette dernière reposait un écriteau: celui de l'atelier de BlackHand. Des inscriptions habillaient la ligne horizontale: "ici repose le maitre de la bière au navet, ci-git BlackHand." Plusieurs bouteilles de bières estampillées, entourées la base de la croix, dans lesquelles une bougie se consumait doucement.

Les villageois entouraient la tombe, le visage fermé éclairés par les flambeaux. Le silence de plomb n'était coupé que par le murmure du vent frais. Le Pasteur se plaça au milieu face au tombeau, c'est à ce moment que Jimmy appuya sur le bouton de sa vieille radio. Les premiers accords de Sweet Home Alabama resonnèrent dans l'air. Aucun discours ce soir là, juste le recueillement d'un Village meurtri, l'inquiétude planante d'une menace encore inconnue et la douleur de l'absence d'un être précieux pour tous. Lorsque les dernières notes vinrent mourir dans le vent de la montagne, tout le monde leva une bouteille, un verre, une flasque ou un quelconque contenant vers le ciel et ils burent à l'unisson.

En bas, des lumières dansaient dans le Village.


En bas, des lumières dansaient dans le Village.
Depuis quelques heures, Yamamoto et Henri observaient les lumières dansantes dans les rues du Village. Personne ne comprenait le dialecte mais si tel fut le cas, ils entendraient toute la détresse de l'ancien croupier. Il avait été durablement choqué par l'état du cadavre déposé aux portes du campement temporaire. Henri ne voulait plus prendre la route du Village, il pressentait un grand malheur, et il avait toujours eu ce frisson révélateur à l'approche de dangers, comme un 6ème sens. Henri voulait convaincre Yamamoto de fuir avec lui, et de prendre une route moins dangereuse. Il voulait rejoindre Black Wood Village plus au Nord, mais Yamamoto refusait. Les postes d'armurier ou forgeron étaient déjà tous occupés, et bien moins payés que ce que le Pasteur octroyait à Blue Gold Village. Hors de question de passer à côté d'une occasion pareille. Henri essayait désespérément de le convaincre, mais le gros Yamamoto restait inflexible. Henri leva les bras au ciel, sorti une carte de sa poche. Il s'agissait de l'Arcane XIII du Tarot, et il lui confia dans son dialecte:
-"Cette carte mon ami, c'est la Lame. La carte représentant la Mort. Elle annonce un mauvais présage, mais symbolise également le nettoyage, la transformation de soi. Abandonnes ta cupidité mon ami, ou elle te dévorera. La Faucheuse te guette."
Sur ces mots, il se leva, et fit volte face. Il partir s'installer seul face au Feu. Son visage était fermé, vexé. Il serrait ses poings en regardant fixement les flammes dansantes. Edit Piaf allongeait ses chansons d'amour à la radio. Des larmes de haine perlaient aux commissures de ses yeux.
Plus haut dans le campement, deux hommes discutaient discrètement à la lueur d'un petit feu. Ils échangeaient une bouteille de bière au navet. Ils avaient devant eux une carte de la région, des traits, des cercles rouges... Novak et Abib parlaient à voix basse. Depuis l'incident de BlackHand et l'éloignement du Pasteur, ils sentaient le vent tourner. La confiance avait progressivement chuté depuis l'accident du bunker. Le Pasteur autrefois influant perdait de se poigne et de son influence. Les disparitions, occultées par le VIllage, inquiétaient les deux hommes. BlackHand était l'évenement de trop. Le Pasteur avait esquivé les questions et refusait de se montrer. Il était temps de tracer leur propre sillon et d'assurer leur futur. Parfois, la seule solution est la fuite. Les deux hommes envisageaient de partir dans la nuit en emportant un maximum de provisions. Ils devaient faire ça en catimini, même si ça ne leur plaisait pas, car personne n'accepterait de sacrifier leurs ressources pour des déserteurs couards. Ces hommes et femmes étaient trop abrutis par les paroles réconfortantes d'un Pasteur sur le déclin pour ouvrir les yeux et se rendre compte de leur propre décrépitude.
Les flammes du feu dansaient devant les yeux hagards de Cut'. La dernière tentative de bière étaient costauds. Visiblement ce n'était pas le taux de houblon le secret, mais ça cognait sacrément dérrière ses paupières. Il était temps d'aller soulager sa vessie de poivrot notoire. Il se leve, trébucha et se rattrapa sur l'épaule de Henri, qui le regarda d'un air sombre. Cut' lui sourit en guise d'excuse et tituba jusqu'à la forêt. Il ouvrit sa braguette lorsqu'il vit le petit feu à l'écart. Il prit le temps de soulager sa vessie, et s'aventura discrètement vers la source lumineuse... Il tendit l'oreille:
-" Du coup, on passe par la tente de Yamamoto, on embarque deux flingues, oublies pas les balles, au moins 50. Derrière, on fait un crochet par la tente du gros Cut' et on embarque de la gnôle, ce sera pas de trop. SI un de nous est grillé on part en courant, on se donne rendez vous à BlackWood Village, et on verra si on continue jusqu'à Cement Road... Tiens au passage, va discuter avec Henri, j'ai cru comprendre qu'il voulait se casser lui aussi...
- Novak, tu fais quoi de ton shop putain? Tu vas tout claquer comme ça?
- T'inquiète j'ai des unités plein les poches héhé... T'as cru que j'allais me barrer comme ça?
- Parfait alors... On pourra monter une affaire... En tout cas ça me soulage qu'on se casse. ça va mal finir ici, il y a bien trop de trucs pas clairs...."


Cut' ouvrit des yeux tout ronds et voulut rentrer dedans les deux loustics... Au moment de bouger, une étincelle éclata dans son cerveau embrumé par l'alcool et il partit à reculons dans un silence total... Il prit la direction de la cabane plus haut dans la montagne. Dans la cabane une lumière vacillait. Alors que Cut' approchait de la porte en bois, celle ci d'ouvrit et la silhouette du Pasteur se dessina dans la lueur d'une bougie...
Son visage était grave et fermé, il savait que quelque chose n'allait pas..

 


Son visage était grave et fermé, il savait que quelque chose n'allait pas...


Le Pasteur invita Cut' à rentrer à l'intérieur de la cabane. Il n'avait jamais eu l'opportunité de rentrer.
En face de la porte d'entée en bois défraîchi, se trouvait une cheminée rudimentaire. L'âtre en pierre était assombri par des feux récurrents, les pierres semblaient à deux doigts de s’effriter. A droite se trouvait un bureau sur lequel se trouvait la besace de feu BlackHand ouverte et vidée de son contenu, un livre, des papiers, des photos, une boite de café ouverte, des lunettes rondes, un coupe papier... A gauche se trouvait une unique paillasse dans laquelle se trouvait la Mère Supérieure, l'air inquiet. Elle avait tiré le duvet à elle de manière à se cacher du mieux qu'elle pouvait du regard de Cut'. Le feu qui crépitait dans la cheminée apportait une lumière douce et vacillante, alors que la radio écoulait quelques doux accords.
Le Pasteur tira une chaise à lui et la présenta à Cut', l'invitant à s’asseoir d'un geste de la main. Il prit ensuite une chaise pour lui même, sur laquelle il s'assit à califourchon. Il servit deux tasses de café sur le bureau adjacent et offrit un des deux récipients à Cut', qui restait étonnamment très silencieux.
-" Qu'est ce qui t'amène ici à cette heure tardive?
- Désolé Pasteur, je... Je ne voulais pas vous déranger vous et la Mère Supérieure... Je... Il se passe quelque chose ici.
- Tu sens encore l'alcool Cut'...
- Oui, non mais oui mais il s'agit d'une chose sérieuse Pasteur. Des gens sont en train de manigancer une fuite. Ils parlent de fuir à BlackWood Village, de quitter le Village en apportant des provisions... Nos provisions, Pasteur. Ces vieux égoïstes quittent le navire, comme des lâches qu'ils sont.
- Qui? Tu as des preuves?
- Il y a Novak et Abib, et ils ont aussi parlé d'Henri... Ils sont dans la combine. Peut-être sont-ils plus? J'en sais foutre rien...Ils ont des plans et une planque un peu plus au Nord. Ça explique au moins où sont passé mes deux dernières bières au navet... Je savais bien que je les avais pas picolé!
- On ne peut pas les laisser filer comme ça Cut'. Imagines si ils vendent les informations du Village au premier venu, où pire, si ils nous ramènent des pillards, comme un chien galeux ramène des puces. Ils ne doivent pas partir Cut'. Où as tu rangé ton arme ?
- Elle est avec moi sous ma veste. On fait quoi?
- On agit Cut'. On va sortir et capturer les Abib et Novak. Henri comprendra pas de suite ce qu'il se passe, vu l'éloignement de sa couche. Si il est avec eux, on le saura bien vite. Emmènes deux hommes de confiance avec toi. On se retrouve au chêne dans cinq minutes."


Déboussolé, le gros Cut' se leva et sortit son arme. Il tenta d'armer la culasse, mais celle ci reste bloquée en arrière. Il donna un grand coup sec du plat de la main pour la faire revenir en avant. Il ouvrit la porte sans un mot, et prit la direction du campement provisoire. Le feu central brûlait toujours...

La Mère Supérieure avait des yeux grands ouverts, elle était visiblement terrifiée. Elle connaissait les traits du visage du Pasteur. Et elle n'aimait pas ça.

Ce dernier se leva et partit au fond de la cabane. Il récupéra son vieil M14 qui tombait en lambeau. Il n'aimait pas les armes et ne les entretenait pas. Il ouvrit la porte et partit sans un mot à son tour.

[...]

Le sac était prêt et camouflé. Ils partiraient dans une heure tout au plus. Abib et Novak avait prévu de prendre par le Nord pour éviter de croiser quiconque.Ils avaient prévenu Henri de leur départ en toute discrétion. Pour faire diversion, ils avaient prévu de mettre le feu à la croix de BlackHand. Ce jeune con servirait au moins à quelque chose, même mort.

Il était l'heure. Abib approcha en silence, un grand sac sur le dos. Il était passé par la tente de stockage et avait récupéré tout ce qu'il avait pu. Son sac débordait de pommes sauvages et de bouteilles. Novak équipa son sac sans un mot et écrasa du talon le petit feu de camp. La noirceur de la nuit enveloppa le binôme. Soudain, un craquement les fit sursauter. Le bruit était tout proche, à quelques pas... Le visage d'Henri apparut à l’orée de la forêt, éclairé par la pâle lumière de la lune. Il hocha silencieusement la tête, lui aussi était prêt. Les deux hommes relâchèrent la crosse de leur arme.

Ils demandèrent à Henri de rester là, pendant qu'ils entamaient la technique de diversion. Les deux hommes progressaient accroupis pour ne pas être détectés, et prirent la direction de la tombe de BlackHand. Sur place, ils versèrent de l'huile à lampe sur la croix, et Abib déclencha son Zippo. La petit flamme vacilla et éclaira subitement deux éclats en face d'eux, à 10 mètres. La flamme se reflétait sur les verres ronds d'une paire de lunette.Le Pasteur fixait les deux hommes, appuyé contre un arbre, dans la noirceur de la nuit. Depuis combien de temps était-il là?
Au moment où Novak essaya de se lever, il sentit le contact froid du canon d'une arme à feu sur sa nuque, et se figea. Il leva doucement ses deux mains en l'air. Abib l'imita. Cut' le tenait en respect, soudainement totalement sobre. Abib essaya de sourire, et de s'avancer vers le Pasteur. Ce dernier prit l'arme posée contre l'arme et ramena la bruyante culasse de son M14 en arrière. Le bruit déchira le silence étouffant de la forêt.
Plusieurs lumières jaillirent du campement et des curieux s'amoncelaient autour de la curieuse scène. Des questionnements provenaient du petit attroupement, rapidement grossis par d'autres curieux. Pendant ce temps, le Pasteur et Cut' tenaient en respect les deux hommes fuyards. Deux autres hommes arrivèrent derrière Cut' et s'attelèrent à soigneusement attacher Novak et Abib.
Jimmy se joignit à la foule curieuse et ouvrit des yeux tout ronds.
"- Pasteur, c'est quoi ce bordel?
- Regardes leurs sac Jimmy. Ils ont volé la réserve et s'apprêtent à fuir. Ils ont également "emprunté" deux de tes revolvers visiblement".
. Jimmy s’avança et vida le sac. Une cascade de pommes se déversa, ainsi que des bières au navet. Une centaine de balles brillantes dévalèrent sur la tombe de BlackHand. Deux cartes indiquaient un itinéraire.
- " Je répète, c'est quoi ce bordel? C'est quoi cette odeur?
- Ils ont mis un truc sur la croix de BlackHand avant qu'on les surprenne.
- Parlez vous deux têtes de cons, qu'est ce que vous êtes en train de foutre, avec vos yeux de merlans frits"
s'exclama Jimmy.
Abib leva les yeux vers Jimmy, plein de défi.
- "Je vais t'expliquer ce qu'on fait. On se casse, on se barre. On a envie de vivre putain, et pas de crever comme de grosses merdes dans une forêt hostile. On préfère tenter notre chance loin d'ici. Regardes la gueule à BlackHand, ça te suffit pas comme preuve que c'est la merde?"
Novak tourna les yeux vers la foule et les multiples lampes à pétrole.
-" Vous vous rendez pas compte que vous allez tous crever? On bouffe plus rien, le Pasteur ne nous parle même plus. Il est enfermé dans sa cabane de merde comme un ermite et ça choque personne. Il n'y a plus personne pour tenir le gouvernail bordel, plus personne! Et le Village en bas là, il est visité tout les soirs? Vous trouvez ça normal putain? ON VA TOUS CREVER SI ON RESTE! Alors putain, prenez vos couilles et..."

Une puissante détonation venait de déchirer l'atmosphère. Une odeur de poudre âcre envahit instantanément le nez. Un flash lumineux avait surpris tout le monde. Une maigre fumée noire sortait du canon du M14, les mains du Pasteur tremblaient. Abib était parfaitement immobile et silencieux, à genoux. Son corps bascula doucement sur le côté et il s'effondra sur les pommes et les cartes. Il manquait la partie droite de son visage, envolée sur la croix de BlackHand. Des parties de ce qui fut son cerveau coulaient doucement le long de la planche en bois.

Novak ouvrit des yeux tout grands. Un silence de plomb envahit l'espace. Cet instant sembla durer une éternité. Abib était étalé de tout son long, du sang commençait à former une flaque sous son corps sans vie.

"- Vous pensez vraiment que vous êtes à l'abandon ici? Vous pensez vraiment que je nous ai oublié? Que j'ai abandonné le Village de gaieté de cœur? Ce Village c'est ma raison de vivre, comme chacun d'entre vous. Je mourrai pour vous, pour le Village. Ces hommes étaient prêt à voler votre pain et votre vin pour alimenter leur fuite. Alors que nos réserves sont au plus bas, ces hommes ont volé notre grenier et nos armes. Justice doit être rendue".

Il posa son M14 contre l'arbre et s'avança vers la petite foule.:
"-Je suis absent pour préparer notre pèlerinage retour. Nous récupérons notre Village dans peu de temps maintenant. J'étudiais les notes de notre ami BlackHand pour définir un itinéraire sécurisé, pour ne pas vous mettre en danger alors que nous sommes affaiblis par la famine.
Mes amis, nous partons dans quelques jours, tout au plus semaines, et nous allons récupérer Blue Gold Village."
Le Pasteur haranguait la foule et observait de près chaque visage, jaugeant la confiance. Plusieurs curieux manifestaient ouvertement leur approbation. Une clameur grimpa progressivement au fur et à mesure que le discours du Pasteur prenait en intensité. La foule et le Village reprenaient confiance en son leader. Cut' bouscula la foule, pour se frayer un chemin:
"- Pasteur, Pasteur. Il manque le petit asiatique. Il est plus là bordel!
- Fouilles la forêt Cut', il doit pas être bien loin! Prends tes deux hommes et va !"
Cut' fit un sifflement aigu et le trio prit la route d'un pas décidé, en direction du Nord de la forêt où se trouvait la paillasse de Abib et Novak.

Le Pasteur se retourna et fixa intensément Novak. Il s'approcha, mis un genoux à terre et glissa doucement:
"- Tu as voulu mettre le feu à la tombe de notre regretté ami? Tu aimes le feu, tu vas être servi Novak"

"- Tu as voulu mettre le feu à la tombe de notre regretté ami? Tu aimes le feu, tu vas être servi Novak"
Le Pasteur fit un mouvement de la tête en direction de Jimmy. Le Sherrif s'approche lentement et parle discrètement à l'oreille du Pasteur. A leur pied se trouve Novak, les mains liées, la tête baissée. L'homme est silencieux, il se sait pris au piège, dans la pénombre de cette sombre nuit éclairée aux flambeaux.

Plus au Nord, Cut' a un genou à terre, il observe le sol grâce à sa vieille lampe torche en métal bleu défraichi. Il tente de pister Henri qui a fuit dans la forêt. Des traces de pas apparaissent sous les yeux de Cut' et ses deux acolytes, il oriente sa lampe face à lui, mettant en évidence la piste et la succession des pas. Il éclaire la forêt menaçante. Le trio progresse doucement et en silence, toute lampe éteinte. Le clair de lune leur suffit à distinguer les traces de pas jusqu'à la lisière de la forêt. Ils allument leurs lampes et s'engouffrent dans la forêt silencieuse...

Jimmy traine Novak derrière la tombe de BlackHand et le place face au précipice. En contrebas, on peut distinguer Blue Gold, parfaitement vide ce soir. La Lune brille de tout son éclat, se mélant aux flammes des torches derrière lui. Novak sait que ces instants sont les derniers. La haine se lit dans le regard de Jimmy, il s'accroupit derrière Novak et lui glisse à l'oreille:
"- Pourquoi Novak? Pourquoi toi? Pourquoi ne pas en avoir parlé putain? Pourquoi on est obligé d'arriver à cet instant, face au ravin?
- Parce que vous êtes tous empris des paroles du Pasteur, et parce qu'on en pouvait plus de cette vie Jim. Tu le sais aussi bien que moi au fond, nos jours sont comptés. Je voulais une dernière aventure avant de quitter ce monde de merde. Au moins je suis servi de ce point de vue là...
- On aurait pu faire les choses différemment Novak. Je regrette. Je ferais ça vite. Je ferais de mon mieux. Je suis désolé Novak, terriblement désolé.
- Merci Jim. Au final ce qui me fait le plus mal c'est de voir votre déception. J'aurais préféré laisser ça derrière moi. Et si vous retrouvez Henri, laissez le vivre... Il n'a fait que suivre le gamin, il comprend la moitié de ce que l'on raconte. Il est innocent Jim. Promets moi que vous le laisserez...
- Je ferai de mon mieux Novak. Adieu mon ami..."


Un terrible hurlement retentit dans la forêt. Le cri est assourdissant et vibre dans chaque feuille du bois. Le trio s'arrête net, parfiatement terrifié. Cut' a les yeux équarquillé. Le temps semble s'être arrêté. Derrière ce terrible son, plus rien ne vit, plus rien ne bouge. Le silence est assourdissant. Les trois hommes braquent leur fusil devant eux à l'aveuglette.
Soudain, un bruit de course; des branches rompues, des bruissements de feuille. Le bruit se dirige droit sur eux. Les trois hommes sont terrorisés, ils renforcent leur prise sur leur arme, ne sachant à quoi s'attendre. De la sueur glacée coule le long de leur échine. Leur coeur bat à tout rompre. Dans le faisseau de la lampe de Cut', une silhouette apparait et fonce sur eux. Tout se passe en une fraction de seconde. Un coup de feu part et vient exploser un arbre qui vole en éclat. La silhouette tombe au sol, visiblement surprise. Cut' braque son canon vers l'homme à genoux. Henri est au sol, et lève les mains en l'air, autant pour montrer son pacifisme que pour se protéger les yeux du faisceau lumineux. Cut' baisse son arme et souffle bruyamment.
"- Putain de bordel de merde. P'tit con. Fous lui les bracelets"
Un des deux acolytes s'avance vers Henri et lui passe les mains entre deux colliers serflex et serre. Il relève Henri par le collier et le pousse vers Cut'.
"- Allez p'tit con, retour au bercail" grinça Cut'. Les quatre hommes reprirent la route du Village. Derrière eux dans la pénombre profonde de la forêt, une silhouette sombre se découpait entre deux arbres, parfaitement immobile.

Le Pasteur se tenait face à la foule et parlait calmement, malgré la sueur qui perlait sur son front.
"- Novak vous, NOUS a trahis. Il a profité de la nuit, comme un rat, pour venir voler notre pitance. Par sa fuite et son larcin, il nous condamnait à mort, au moment où nous avions le plus besoin de faire des provisions. L'automne approche, le froid approche et les ressources sont de plus en plus rares. N'écoutant que son égoisme et sa personne, Novak a embarqué Abib et Henri dans sa folle spirale, pour vendre nos secrets à BlackWood Village. Ce village est au bord de la perdition, mais ça il ne le savait pas... Novak, tu es accusé aujourd'hui d'avoir tenté de tuer le Village de Blue Gold, d'avoir manipulé et entrainé deux âmes innocentes, d'avoir volé notre bien le plus précieux et d'avoir voulu souiller la mémoire de BlackHand. Pour ces actes, tu vas être condamné à mort. A une autre époque, on purifiait les âmes perverties par le feu. Le feu avait cette symbolique forte d'expiation et de salut. Nous allons t'offrir ce que tu réservais à notre ami BlackHand, le feu."

Du bois fut rapatrié de la forêt proche et un bucher fut installé. Novak était silencieux, il ne cherchait même pas à se défendre. Il avait joué et il avait perdu. Face à la vallée, et quelques pas du précipice se tenait le bucher: une accumulation de branches et un tronc au milieu, sur lequel était attaché Novak. Un bandeau rouge bandait ses yeux. L'huile à lampe fut répandu sur les pieds du bûcher. La radio laissait échapper les accords de guitare de Far From Home de The Handsome Family. Les paroles mélancoliques transperçaient chaque coeur, rappelant à tous la réalité de la situation. Ils étaient tous perdus dans un monde à l'abandon, isolés de l'humanité, se délayant chaque seconde dans la sauvagerie de la survie, brutale, froide, injuste. Les arpèges glissaient sur les visages silencieux et figés des hommes et des femmes. Un tintement métallique résonna. Le Zippo de Jimmy s'illumina.Il observa quelques secondes la flammes dansantes et lança le briquet à la base du bucher. Sur la coque du Zippo, on pouvait voir gravé: "Novak-Mileva et une date".

Une boule de feu illumina la plaine. Le souffle brulant du brasier éclaira le ciel, les yeux des villageois brillaient. Le silence éclatant d'une foule en peine, seulement interrompu par les craquements du bois.Il n'y eu aucun cri ou hurlement. Jimmy s'approcha du brasier et envoya un coup de pied frontal dans le tronc.Le bucher pencha vers le gouffre et chuta. Une étoile filante illumina le trou sombre et insondable. Le bucher s'écrasa lourdement en bas dans la vallée. Et ce fut tout. Il en était terminé de Novak. La radio dérailla et emit seulement des craquements inaudibles et du bruit sonore. Personne ne parlait.

Soudain, Cut' déboucha du haut de la plaine. Il tenait Henri devant lui.

"- Putain merde, vous m'avez pas attendu pour le spectacle vous êtes sérieux? Je me casse le cul à récupérer l'autre goret et vous faites ça sans moi?!"

Soudain, Cut' déboucha du haut de la plaine. Il tenait Henri devant lui.

"- Putain merde, vous m'avez pas attendu pour le spectacle vous êtes sérieux? Je me casse le cul à récupérer l'autre goret et vous faites ça sans moi?!"
Le brasier finissait de se consumer doucement. Les dernières braises crépitaient doucement et irradiaient leurs derniers éclats sur les visages émaciés des villageois. Un silence pesant avait envahi la petite foule. Seul le Pasteur se démarquait, le regard mauvais. Des yeux exorbités se cachaient derrière les verres de ses lunettes. Un mèche perdue striait son visage transpirant. Le Pasteur braqua son regard sur Cut' et Henri; un sourire carnassier fendit son visage. Il baissa la tête, toujours souriant, réajusta ses lunettes sur son nez et partit à la rencontre du fugitif. Derrière, Yamamoto et le Sherrif étaient appuyés contre un arbre et échangeaient d'un air inquiet. Yamamoto semblait terrorisé.
-"Tu es le seul à pouvoir faire quelque chose Sherif... Il est jeune, il est innocent Henri. Tu le sais bordel, il s'est laissé entrainé par la peur de demain. Putain il est influençable, il a toujours oeuvré ici... Pitié, fais quelque chose pour le gamin...
- Je vais voir ce que je peux faire Yamamoto, mais le Pasteur a l'air malade là. Je veux pas non plus me retrouver en position inconfortable. Tu l'as déjà vu dans cet état ? On leur apprend ça dans leur Ordre à la con? Et la Mère Supérieure elle est où celle là. Bordel faut stopper le massacre, t'as raison... J'y vais."
Jimmy le Sherrif emboita le pas du Pasteur. Yamamoto resta contre son arbre, l'air inquiet. il serrait ses doigts nerveusement. Il aurait dû dissuader Henri, il s'en voulait terriblement de voir le gamin sur le pilori, prêt à subir les foudres d'un Pasteur déraillant.

Le Pasteur fesait face à Henri l'air mauvais.
"- Alors petit con, on essaie de voler Blue Gold? On t'accueille parmi nous, on te nourrit, on te préserve et tu nous fait ça? A moi? A eux? A nous? J'espère que t'as eu le temps de voir l'autre salopard dégringoler de la colline. Je vais trouver encore mieux pour toi

 

-Euh Pasteur?" déclara discrètement Cut' "Le gamin nous a couru dans les bras, il y a vraiment des machins bizarres dans la forêt, que je crois. Sur mes aïeux, il serait temps de rentrer au bercail et de laisser la montagne tranquille.Z'allez en faire quoi du petit chintok ?
- J'ai pas encore décidé mais ça va pas être agréable.
- Me faites pas rater le spectacle ce coup ci, merde. Je me casse le cul à aller rattraper ce peigne cul dans le noir, je veux au moins les paillettes à l'arrivée !"


Le Pasteur empoigna Henri par le cou, et le traina derrière lui. Henri était décomposé, il braquait des regards apeurés partout autour de lui. Il ne vit que des visages sans expression. Personne ne lui viendrait en aide. Après tout n'avait il pas mérité cette sentence? Yamamoto ne l'avait il pas prévenu? Est-ce qu'au final cette XIIIème arcane n'était pas pour lui même?Alors qu'il trébuchait, lamentablement trainé par un Pasteur à moitié fou, il versa une première larme. Elle fit mal cette larme, elle avait le goût du regret. Elle brulait sa peau et traçait un sillon clair sur sa peau sale. Alors qu'il approchait d'un brasier incandescent, la radio diffusa Cello Suit de Johann Sebastian Bach. Il allait partir sur les accords des violons et des contrebasses. La musique irradia son coeur. Il n'entendait plus rien d'autres que les accords mélancoliques. Sa vie bascula dans une torpeur insondable. Il revit son enfance, son frère disparu, le casino, l'Aube Rouge, son périple à travers les campagnes, sa rencontre avec Yamamoto, son sourire, sa main amicale... Quel gachis. Quel gachis...

Henri était à genoux face à la foule. Ses yeux étaient fermés. Sa tête dodelinait doucement de droite à gauche. Etonnamment ses traits étaient relâchés. Le Pasteur se tenait debout derrière lui, et faisait face à la foule.
-" Et voilà donc le troisième et dernier traitre. Celui ci n'a même pas eu le courage d'assumer ses actes, et a préféré fuir comme un rat dans la forêt. Il va bientôt rejoindre son ami Novak. En bas. Blue Gold n'a pas besoin de trahison. Notre monde est dur, notre monde est cruel. Il n'y a plus de place pour la pardon, il n'y a plus de place pour les excuses. Les erreurs sont aujourd'hui impardonnables. Regardez vous habitants de Blue Gold. Qu'avez vous fait pour mériter la haine et le larcin de ces trois hommes? N'avez vous pas seulement survécu dans l'espoir d'un lendemain clair et sous les meilleurs hospices? Chaque chasse, chaque feu, chaque action de votre part sont les briques de notre maison à venir. Et ces trois hommes peuvent tout détruire en une nuit. Des mois et des mois de souffrance, de labeur, de travail acharné pour ça ? Pour trois couards pensant à leur survie avant la votre? Et moi, devrais je accepter ça? Je me bat pour vous jour et nuit. JOUR ET NUIT. Et je devrais accepter l'erreur humaine? NON. NON. NON."
Le Pasteur saisit la nuque d'Henri et l'entraina vers le bord. Les deux hommes faisaient face au ravin. En bas dans la vallée, un minuscule point rouge incandescent apparaissait dans la forêt en contrebas. Le corps de Novak achevait sa combustion, seul dans la torpeur des bois entourant Blue Gold. Une main vint saisir le bras droit du Pasteur. Une autre main saisit le bras gauche. Le Sherrif fixa intensément le Pasteur, sans mot. A gauche la Mère Supérieure fit de même. Son regard était profondément noir.
Le Shérif fut le premier à parler à voix basse
-" C'en est assez Pasteur. Il y a assez eu de morts pour ce soir. Regardez le, c'est juste un putain de gamin effrayé. Vous avez croisé son regard? C'est un enfant bordel. Un enfant. Laissez le filer, il ne représente plus aucun danger"


Yamamoto se détacha de son arbre et approcha du trio. Il saisit doucement la main du Pasteur et la détacha de la nuque de Henri. Il saisit ce dernier par les hanches et le releva. Il passa son bras autour de son cou et l'aida à s'éloigner du ravin. Henri plongea son visage dans le cou de Yamamoto. Des larmes coulaient sur ses joues. "sumimassèn'"...

La Mère Supérieure avait toujours son regard plongé dans les lunettes brillantes du Pasteur.

"Crois tu que l'Ordre approuverait? On nous a appris la sanction, mais également le pardon. Ce gamin a été manipulé. Stoppes ta frénésie meurtrière, sinon je te promet que ça se passera mal avec l'Ordre. Je n'hésiterai pas."

Le Pasteur haussa les épaules et se dégagea des deux mains qui lui enserraient les bras. Il fit demi tour sans un bruit. Il observa ses villageois et déclara sobrement "Puisqu'il en est ainsi"
Il traversa la foule la tête haute. Son regard était plongé vers l'horizon. Ses lèvres étaient pincées. Il prit la direction de sa cabane.

Cut fut le premier à briser la silence." Putain vous êtes sérieux, vous tous? Je rate deux spectacles dans la même soirée ?"

Derrière le groupe la Cello Suit n°5 écoulait ses derniers violons déchirants.

Derrière le groupe la Cello Suit n°5 écoulait ses derniers violons déchirants.
La soirée avait été d'une rare intensité. Jamais le Village n'avait connu un tel déferlement de violence, de larmes et de colère. L'unité du Village venait d'être bafouée, salie. Mais malgré ces évènements, il fallait survivre. Il fallait tenir, car tel était le monde d'aujourd'hui. La résilience était mère de toute réflexion.
Yamamoto et Henri était assis côte à côte face au feu. Ils parlaient à voix basse. Henri ne cessait de pleurer depuis son sauvetage des griffes vengeresses du Pasteur. Il regrettait profondément ses actions. Une sanction aurait lieu dans tout les cas... Les deux amis parlaient un dialecte incompréhensible et personne ne pouvait deviner le contenu de leurs échanges.
Quelques mètres plus loin, Cut' étanchait sa soif sur sa paillasse et marmonnait des insultes en direction des deux asiatiques "Par deux fois que j'me fais avoir, par deux fois que le brave Cut' va chercher des rats fuyards et deux fois qu'il rate le spectacle. Brave Cut', gentil Cut'... J'vous en foutrais du Cut'. Y vont voir quand ils z'auront pu' d'bière, ça viendra gratter à la porte de ce bon Bar à Mines tiens!"
Plus haut dans la plaine, une lumière brillait derrière les fenêtres noircies de la cabane. Jimmy était à l'intérieur et des éclats de voix arrivaient jusqu'au campement principal. Ca gueulait fort à l'intérieur. Ils étaient en train de décider du sort du gamin. La Pasteur tenait à lui couper une main, pour l'exemple, alors que la Mère Supérieure et Jimmy voulaient simplement le laisser partir en paix.

La porte s'ouvrit à la volée. Des éclats de bois se détachèrent du montant de la porte. Les trois silhouettes descendaient en direction du campement, une lampe à pétrole ouvrait la voie, dans l'obscurité de la nuit. Derrière eux se découpait l'impressionnante masse de la montagne.

Le Pasteur, la Mère Supérieure et Jimmy se plantèrent devant le feu de camp et faisaient face à Henri et Yamamoto, toujours assis. Le jeune Henri leva les yeux. La peur et la crainte se reflétaient dans ses pupilles dilatées.
Jimmy jeta un sac en toile dans sa direction.
"Tu prends ce sac et tu te casses. Tu as une carte pour te rendre à BlackWood Village" lança Jimmy.
"Estimes toi chanceux d'avoir des amis dans ce Village que tu trahis. J'espère que tu te rends compte de ce que tu es en train de perdre Henri. Profites en pour jeter un dernier coup d'oeil à tes complices, qui sont morts à ta place" rétorqua le Pasteur, le regard mauvais.
"Adieu Henri, j'espère que ton voyage sera bon... Je t'ai mis plusieurs remèdes et encas dans le sac. Puisses tu nous revenir un jour, lorsque les foudres de Blue Gold seront passées." glissa la Mère Supérieure, l'inquiétude se lisait sur ses trains.

Henri passa d'un regard inquiet à un regard paniqué. Il ne voulait pas partir seul, dans la foret. Il avait vu rôder de drôles de choses dans le noir profond des bois. Son regard passait d'un visage à un autre... Yamamoto se leva et le pris par le bras, le forçant à se lever. Il récupéra le sac en toile et le passa autour des épaules d'Henri.

"Il est temps mon ami. L'arcane XIII n'était finalement pas pour moi Henri... La porte de la Forge te sera toujours ouverte... Tiens prends ce sabre, il m'est précieux... Fais en bon usage. Pars et ne te retournes pas. Ton futur est devant toi. Tu es jeune, tu es plein de vie... Rejoins BlackWood Village et mènes une belle vie. Tu vas me manquer, sincèrement. Adieu Henri."
Il poussa Henri du plat de la main, en douceur. Le chemin menant vers l'extérieur du village lui faisait face. Il était temps de se faire une raison. Il fit un pas dans la boue, puis un autre... Des larmes brulantes coulaient sur son visage. Elles avaient le gout de la honte, du regret et de la profonde tristesse de devoir quitter un groupe, désormais seul. Il s'éloigna doucement, sans un bruit ni un mot, la tête basse....

Quelques minutes plus tard, le campement était dans son dos, il distinguait encore les flambeaux qui illuminaient la cime des arbres. Le silence l'entourait, pesant, oppressant.

Quelque chose grogna dans la pénombre.